Victor Hugo dans le Journal : 17 novembre 1901

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Une seule fois, Victor Hugo ne m’a fait aucun effet : c’est quand je l’ai vu. C’était à la reprise du Roi s’amuse. Il me parut vieux et assez petit, un peu comme nous nous représentions les plus vieux membres de l’Institut, qui doit être plein de ces petits vieux-là. Plus tard, j’ai connu Georges et Jeanne Hugo. Je ne comprenais pas qu’ils pussent adorer un autre dieu que lui.

Je lui sacrifierais La Fontaine, mes passions.

Tout un soir, Rostand et moi, nous avons répété ce vers qui est une peinture extraordinaire :

« Il avait les cheveux partagés sur le front. »

Je ne trouverais pas quatre phrases à lui dire sur lui.

Et il y a des livres de lui que je n’ai pas lus.

Je peux faire des plaisanteries sur Dieu, sur la mort : je ne pourrais pas en faire une à son propos. Pas un mot de lui ne me paraît ridicule.

J’ai lu des penseurs : ils me font rire. Ils tournent autour du pot. Je ne sais pas si Victor Hugo est un penseur, mais il me laisse une telle impression que, après avoir lu une page de lui, je pense éperdument, le cerveau grand ouvert.

Je crois que je n’aurais jamais osé lui avouer que j’écris.

Si l’on m’affirmait, preuve en main, que Dieu n’existe pas, j’en prendrais mon parti. Si Victor Hugo n’existait plus, le monde où se meut la beauté qui m’enivre deviendrait tout noir.

De voir Victor Hugo ne m’a point gâté Victor Hugo, mais je m’en suis voulu de n’avoir pas eu assez d’enthousiasme pour le voir si grand, une minute, malgré sa petite forme humaine. Il sortait au bras de son petit-fils.

Je ne donne pas moins de sens à son nom qu’au mot « Dieu ». Il utilise toute la force que j’ai d’adorer.

Critiquer Hugo ! Quand je regarde un coucher de soleil, qu’est-ce que cela me fait de savoir qu’il ne se couche pas, que la terre tourne autour de lui ? Quand je lis Hugo, qu’est-ce que ça me fait de savoir qu’il écrit comme ceci ou comme cela ?

Tout petit, j’ai dit à mon grand-père : « Sont-ils heureux, d’avoir un tel grand-père ! » Et mon grand-père, que je n’avais pas blessé, a dit oui, comme moi.

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